Toutes ses soeurs aussi avaient de gros seins. De mes yeux de petites filles, ça me faisait presque peur. Sa poitrine ne m’a jamais servi de refuge pour me consoler. Je n’ai jamais vu les seins nus de ma mère – qu’au moment où elle vécut un cancer du sein.
Elle n’était pas d’humeur au réconfort et la proximité physique n’était pas dans sa nature. Je n’ai pas souvenir de ces seins-là comme d’un territoire neutre, sécuritaire et aimant ou même abreuvant. La vague de l’allaitement était passée lorsque 59 apparût aux pages du calendrier. Elle était comme ça ma mère.
Elle admirait ses seins et s’en faisait une fierté. Elle utilisait le mot buste pour en parler. Elle prenait soin de le mettre en valeur, la craque entre ses seins bien en évidence pour combler le regard des hommes. Ma mère n’était pas une femme facile, comme on dit, mais elle se faisait un honneur d’exhiber son attribut. Elle provoquait le regard sexy des hommes ainsi que celui des femmes envieuses, jalouses et même scandalisées parfois. Nous n’avons jamais vu ses malmenons, elle aurait dit « tétons ». Comme j’haïssais ce mot qui, à mon sens, dégradait le corps des femmes.
Jamais déplacée, elle se situait à la frontière de la sensualité et de l’exhibitionnisme. Elle s’assumait plus que je ne l’aurais imaginé, je crois. Elle était peut-être avant-gardiste. Elle ne cherchait pas à se les aplatir comme les religieuses le faisait, elle portait ses seins bien devant, ils la précédaient.
Ma mère s’est déjà moqué de mes seins naissants. Je crois qu’elle souhaitait demeurer la Reine des seins de son royaume. Je lui en ai voulu un temps pour ça, pour la moquerie. Pour le règne, je m’en foutais vraiment.
Toutes les femmes ont des histoires de seins. Les hommes aussi.
Pour nous, les femmes… oups j’ose parler au nom des autres femmes… je me lance quand même!
Pour nous, c’est comme si nos seins appartenaient davantage au monde extérieur qu’à nous-même. Les seins n’ont pas le même statut social que le bras ou le pied. Ils attirent le regard de l’autre sur soi. Ce regard nous rappellent à quel point cette partie de notre corps, dédiée à l’allaitement et à la jouissance sexuelle, peut parfois nous mettre en danger.
Dans les années 60, les féministes ont brulé leurs brassières, objet de soumission, de séduction et d’oppression. Objet destiné à se protéger du regard des autres et à créer une poitrine séduisante selon la norme : les seins pointus de l’époque des Wonderbra cross your heart par exemple. S’affranchir des brassières, c’est revendiquer la liberté et la souveraineté de notre corps de femme, c’est assumer cette partie de notre corps en dehors du regard de l’autre. Un jour, les femmes ont retiré leur brassière en guise de revendication, un geste de libération de la cage dorée du « soutif ». https://www.lapresse.ca/vivre/mode/201403/28/01-4752379-soutien-gorge-un-symbole-paradoxal.php
C’est cacher la forme de ses seins, en uniformiser, voir normaliser la tenue et l’apparence. C’est maintenir un modèle social d’une poitrine aguichante pour l’autre. Et bien des gens constatent que, sans soutien, c’est plus aguichant encore. On en sort pas au final. Les seins dérangent, les seins parlent et ont beaucoup à dire! Ils revendiquent leur liberté d’expression.
Autant de caractéristiques qui font que les femmes aiment et plus souvent détestent leurs seins et choisissent la chirurgie pour transformer leur poitrine selon certains standards – des images mentales qu’on nous impriment dans le cerveau publicité après publicité – croyant que ça les rendra plus heureuses. Pour certaines d’entre elle, ça marche. Pour d’autres, c’est le cauchemar et la danse des bistouris qui vient avec.
De la pression sur les seins … encore et encore!
À 63 ans, avec mes deux seins bien en santé, je réalise que le regard des autres est différent. Je ne me sens plus aussi sexy qu’à 40 et même 50 ans. Et c’est libérateur. Il y a quelque chose de changer. Je crois que je m’approche de ma véritable relation avec mon corps, que je me détache du regard de l’autre et c’est relaxant. J’habite davantage mon corps. La maladie vécue en 2019 – avec laquelle je continue de composer en voie de guérison – a transformé mon rapport au corps, au mien et à celui des autres.
Le patriarcat nous a domptées et a construit des modèles commerciaux et consommables et, jusqu’à ce que nous remettions en question ces normes, nous entrions dans le moule. Jusqu’à ce que les femmes se soulèvent, les modèles pouvaient nous faire souffrir. Maintenant que les jeunes filles marchent dans les sentiers de nombreuses femmes de par le monde qui contribuent au respect du droit des femmes dans le monde, nous, les plus vieilles pouvons accorder à nos seins la liberté dont ils rêvent depuis longtemps.
Le cancer du sein est à la mode. Oui à la mode car la mode vestimentaire enferment les seins, les maintiennent prisonniers par des matériaux comme des cerceaux qui briment la circulation sanguine. Tous les jours de la vie d’une femme, de l’âge de la puberté à sa mort, il lui sera convenable de porter une brassière. Ma mère n’errait pas en jaquette sans brassière.
Heureusement, de nos jours, de plus en plus de femmes cessent de porter des brassières, assument la forme unique et le mouvement de leur seins. De plus, des designers ont créé des soutien-gorge sans métal. C’est un pas! Vivement la liberté du corps.
À 62 ans, ma mère a vécu un cancer du sin. Impossible de traiter, elle du vivre l’ablation d’un sein. Je ne me souviens plus lequel. Ça m’a traumatisé. J’avais 29 ans. J’étais dévastée pour elle.
Je ne souviens de son gros sein tombant, le sain sein. Et du fantôme de l’autre, la cicatrice gravée dans sa chair aplatie sur son thorax.
Elle n’en a jamais parlé.
Je sais que ça a été difficile pour elle.
Perdre le regard de l’autre sur sa « tablette » – on disait ça aussi – a du être horrible.
Elle a porté une prothèse et des camisoles de dentelles qui cachait la fameuse craque.